Téléconsultations psychiatriques : premières expériences

téléconsultation en psychiatrie continuité des soins

Rares sont les psychiatres qui ont encouragé ou utilisé la téléconsultation avant 2020 en France. 

La peur, la restriction des déplacements dans le cadre du confinement de 2020 ont favorisé  cette pratique, encouragée par les pouvoirs publics.

Cependant, de nombreuses critiques et réticences ont entouré cette pratique de la téléconsultation en psychiatrie. Nous parlons ici de la téléconsultation psychiatrique « en visio », qui est la seule pratique désormais reconnue par les pouvoirs publics. En outre, cette réticence continue de s’exprimer au-delà de la  période critique du confinement. Et de fait, à la levée du confinement, la consultation classique, qui conduit le consultant au cabinet du praticien, a repris tous ses droits. Qu’il s’agisse du suivi par un(e) psychiatre, un(e) psychothérapeute, un(e) psychologue.

Néanmoins, ces quelques mois, de mars à juin 2020, nous ont amplement montré l’intérêt de la téléconsultation en psychiatrie, et l’intérêt qu’y prenaient nos patients. Ainsi, le confinement fut l’occasion pour la téléconsultation de s’introduire davantage dans notre exercice quotidien, dont elle fait désormais partie. Nous reviendrons sur la place qu’a prise la téléconsultation dans notre pratique d’après le confinement. Mais avant cela, nous souhaitons souligner d’emblée trois points essentiels

  • La téléconsultation psychiatrique permet l’accès aux soins et la continuité des soins dans de nombreuses situations. Ainsi, le confinement n’était que l’une des situations, nombreuses, dans lesquelles les consultations habituelles au cabinet sont rendues difficiles ou impossibles. D’autres moyens sont alors nécessaires
  • La téléconsultation n’est qu’un outil, mais celui-ci améliore le service rendu aux patients
  • Enfin, c’est une pratique dynamique, qui à notre avis modifie de façon positive notre échange avec nos patients, même ceux qui ne l’utilisent pas

 

Période du confinement, les débuts : une précision essentielle 

  • Nous avions décidé avec Victor Souffir de nous familiariser avec la téléconsultation par visioconférence à partir de décembre 2019, bien avant le confinement s’impose officiellement.
  • Ainsi, la décision du confinement du 15 mars 2020 nous a fourni une occasion d’expérience très large et non traumatisante
    • Sans l’impression d’une contrainte due aux décisions officielles, mais au contraire en étant animés d’une réelle curiosité
    • Et en ayant une certaine expérience préalable, ce qui nous permettait de ne pas avoir peur de cette technique nouvelle, et d’expliquer aux patients comment on pouvait l’utiliser
  • Deux conditions apparaissent évidentes dès le début
    • La téléconsultation est une pratique de cabinet. Le psychiatre est seul à son cabinet, ou dans son bureau, dans son cadre habituel,
    • Nous demandons au patient d’être lui aussi dans des conditions de discrétion et d’intimité suffisantes, et de rester près d’un téléphone en cas de difficulté

Dans ces conditions, cette expérience nous est apparue d’emblée largement positive

  • Très suivie par les patients,
    • Ces derniers contournaient ainsi la peur de rencontrer le virus de la Covid 19 : pas besoin de sortir de chez soi pour voir son médecin
    • Bénéfice collatéral, c’était aussi une facilité, de la même façon que la possibilité du télétravail était une conquête pour les travailleurs qui le réclamaient depuis longtemps. Les patients parlaient beaucoup du plaisir de travailler de chez soi, d’éviter les transports, les collègues qu’on n’a pas envie de voir … Ce sont des propos qu’il fallait entendre …
  • Nous avons très vite constaté que la visioconférence permet dans l’ensemble un échange de qualité, suffisante malgré ses imperfections techniques, qu’il s’agisse de prescription médicamenteuse ou de suivis psychothérapeutiques
    • On voit bien son interlocuteur, même s’il s’agit surtout de son visage
    • On entend la voix bien mieux qu’au téléphone
    • Et on peut parler très librement, plus librement parfois que lors d’une rencontre au cabinet, comme l’ont souligné certains patients. Manifestement, « le courant passe ».

Quelques patients ont horreur du numérique et ont refusé de suivre, mais l’obstacle principal que nous avons rencontré est technique

  • La technique informatique n’est pas aussi parfaite que les fondus du numérique veulent bien l’affirmer. Le praticien en fait l’expérience, en même temps que l’expérience de ses propres lacunes. Nous allons y revenir
  • Quant au patient, un matériel un peu ancien, une timidité ou une gaucherie face à l’ordinateur sont des difficultés. Ce sont des versions individuelles de la fracture numérique. En outre, nous touchions du doigt l’intérêt que la téléconsultation ou le télésuivi psychiatrique pourraient avoir pour des personnes vivant dans des déserts médicaux
  • Néanmoins dans certains moments de cafouillage, nous pouvions voir un mari, un adolescent appelé à la rescousse pour régler les difficultés. Cette possibilité d’assistance est maintenant reconnue dans le cadre du télésoin et c’est une piste très intéressante

 La téléconsultation psychiatrique change-t-elle quelque chose du style de la relation médecin-malade?

Oui, mais  nous ne devons pas le regretter

  • En particulier, le praticien doit manifester sa présence de façon plus active qu’en présentiel. Il se met en scène pour expliquer le dispositif. Il est parfois conduit à un certain “bricolage”. En cas de bug, il sert de hotline, ce qui peut être éprouvant pour lui. Cependant, tout cela induit des discussions et une plus grande simplicité relationnelle, sensibles en particulier au moment de la connexion, ou lors des début et fin de séance, ou lors des silences. Certains patients l’ont fait remarquer, relevant par exemple, avec plaisir, que “le psy” parle davantage
  • Dit d’une autre façon, le fait pour les malades de voir le psychiatre aux prises avec la technique, parfois un peu malhabile, globalement plus actif, atténue son image plus ou moins hiératique et silencieuse de moi idéal, ce qui les soulage le plus souvent

Ainsi, la téléconsultation invite à réfléchir sur les attitudes du praticien. En revanche, elle ne présente à notre avis aucun vice qui la condamnerait par principe. En particulier, elle n’altère pas la relation thérapeutique. Nous avons au contraire l’impression qu’elle l’assouplit, y introduit de l’humour et en quelque sorte l’humanise.

  • Au total, dans l’ensemble, ces échanges « en visio » parfois un peu chaotiques étaient vécues paradoxalement avec une certaine gaîté
    • Pour les raisons que nous avons dites
    • Sans doute aussi du fait du plaisir et de l’attrait du nouveau
    • Et surtout, nos patients étaient reconnaissants du fait qu’on leur offre cette possibilité, et parfois très explicitement ils se montraient plutôt admiratifs

Pourtant, le “présentiel” reste le cœur de notre pratique

  • En effet, malgré ce bilan largement positif, la plupart des patients ont souhaité revenir au cabinet dès la levée du confinement, Ils expriment un besoin de « reprendre contact »
  • Interrogés, les patients ont du mal à exprimer ce qui fait la différence entre “présentiel” et “distanciel”. Mais le message est clair : « ce n’est pas pareil », c’est mieux « en vrai ». Venir au cabinet, c’est autre chose que « parler, parler, parler » nous dit une patiente qui d’ailleurs utilise très souplement les deux possibilités… « C’est comme le télétravail, il n’en faut pas trop ». Au bout d’un moment, on a besoin de retrouver les collègues, son bureau. Et aussi « la bise du matin », les « accolades », les conversations informelles entre deux portes ou devant la machine à café. Ici encore, il faut entendre tout ceci.

Nous ne pouvions que vérifier, quasi expérimentalement, que le plaisir de vivre se nourrit des contacts physiques, affectifs, sociaux. Ce sont des fils invisibles d’amour, d’agressivité, d’intérêt, qui circulent des uns aux autres, certes dans l’enfance, mais aussi à chaque moment de la vie. La répétition des isolements, les mesures dites « barrières », la réduction des canaux de communication quelle que soit leur nécessité et leur intérêt, font naître la lassitude, l’ennui, une fatigue. Pour certains, cela devient une angoisse, une dépression, une colère…

Ainsi, la cause est entendue : aucun dispositif ne remplace pleinement la rencontre thérapeutique “en présentiel”

  • La téléconsultation n’est pas une panacée, ce qui était d’une certaine façon était prévisible. Cependant, la téléconsultation a permis de réduire certaines conséquences individuelles violentes de l’épidémie et de l’isolement forcé. Elle a atténué les effets traumatiques de cette situation exceptionnelle
  • Mais au-delà de cette fonction anti-traumatique, nous avons souligné que la téléconsultation apportait des bénéfice cognitifs, psychologiques, pragmatiques clairement repérables dans certains cas.
  • Il faut souligner aussi que les traitements habituellement engagés au cabinet ont pu continuer. . .   Trainements médicamenteux, mais également psychothérapies
  • Évoquons simplement le suivi de cette femme, particulièrement maltraitée dans son enfance, en particulier à propos des apprentissages scolaires. Elle devait être assistée par sa fille pendant les téléconsultations, début 2020. Elle réalise aujourd’hui ses démarches sur internet seule, y compris nos rares téléconsultations. Et comme je l’en complimente, elle rit : « c’est grâce à vous… Je ne sais pas… Vous avez dû m’hypnotiser ! »… La téléconsultation n’empêche ni le transfert, ni l’humour

Ainsi, au-delà de la situation traumatique du confinement, la téléconsultation est désormais une possibilité que les patients connaissent. Beaucoup ont pu évaluer les services qu’elle rend, ses nuances, ses limites. Certains l’utilisent désormais dans les contextes les plus divers. Cela maintient la continuité des soins et des échanges, mais apporte également d’autres bénéfices. C’est ce que nous détaillerons dans une seconde partie.

Dans Psyway

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