Santé Mentale : applis et outils numériques : quelle efficacité ?
Une étude de l’Assurance-maladie datée d’octobre 2022, procède à une vue d’ensemble et à des comparaisons internationales. Elle se base sur l’étude de plusieurs expérimentations en Europe et aux USA.
Les outils numériques et les applis en santé mentale sont-elles efficaces? Sont-ils utilisables dans la période actuelle? Pour quels troubles mais aussi pour quelles personnes ? Cette étude montre que de nombreux points restent à discuter : évaluation, remboursement, intégration des applis dans de nouveaux modes de suivi. L’étude propose en conclusion une comparaison avec d’autres pays. En effet, les français utilisent peu ces outils numériques, malgré les incitations des pouvoirs publics. Contrairement à d’autres pays européens.
D’abord, notons que ces outils englobent un ensemble hétérogène de logiciels et d’applications (objets connectés, applis, téléconsultations, serious games, logiciels de réalité virtuelle). Ils sont susceptibles de faciliter les soins primaires tout en libérant du temps médical. Cet ensemble inclut le recours possible à des thérapies brèves numériques en première intention. Les expériences étrangères, portent sur des pathologies comme la dépression, l’agoraphobie, le trouble anxieux généralisé, le trouble panique, les troubles obsessionnels compulsifs.
A quoi servent les outils numériques et applis en santé mentale ?
Le document de l’Assurance-Maladie rassemble quelques fonctionnalités proposées par les solutions numériques :
- Prévention par la fourniture d’informations hygiéno-diététiques et physiologiques adaptées à l’usager
- Auto-surveillance avec réception d’alertes et de conseils, afin d’ améliorer la gestion de la pathologie
- Aide au dépistage des troubles
- Aide aux traitements: séquences de thérapies brèves, détermination des paramètres et orientations de la décision médicale
- Aide à la décision thérapeutique : sur la base des données fournies par le patient. Elles peuvent proposer l’identification des interactions médicamenteuses, des contre-indications et des éléments de pharmacovigilance.
Cinq méta-analyses et 5 essais cliniques randomisés parus depuis 2017 sont analysés dans les conditions de la pratique courante.
Dans les dépressions et l’anxiété et l’addiction au tabac, des résultats cliniques positifs apparaissent. En effet, les interventions permises par une appli ont réduit significativement les symptômes. Cependant, ces effets sont observables :
- sur une période de trois mois
- sans preuve de la persistance à long terme des effets thérapeutiques
- surtout, ils sont nets par rapport au groupe témoin qui n’a pas bénéficié de traitement.
- ils sont en effet moins nets sur les groupes témoin qui ont bénéficié d’une prise en charge en face à face avec un traitement médicamenteux, mais aussi d’une application placebo
- par contre, les interventions, comprenant un accompagnement par un professionnel (SMS, appels téléphoniques) ont présenté des effets plus nettement positifs.
- c’est pourquoi ces résultats rendent impossible d’envisager une substitution d’un professionnel de santé par une appli de santé mentale
De plus, les auteurs de l’étude recensent les difficultés rencontrées par les équipes de soins à l’utilisation des outils numériques et applis dans leurs pratiques :
De fait, le rôle de l’accompagnement humain dans l’efficacité clinique est souligné:
- il est nécessaire de sélectionner les applis en fonction des besoins des patients. Les prescripteurs eux-mêmes doivent en avoir une bonne connaissance pour pouvoir les prescrire ou en conseiller l’utilisation.
- l’accompagnement des patients à l’occasion des problèmes techniques qu’ils peuvent rencontrer est indispensable
- mais aussi, l’interprétation préalable à la consultation des données stockées dans la solution numérique est nécessaire
Les craintes et résistances des professionnels de santé mentale ne sont pas minimisées :
- crainte d’une perte d’autonomie professionnelle
- incertitude sur la valeur des dispositifs connectés
- question sur la responsabilité du professionnel de santé
- mais encore caractère éventuellement chronophage pour l’organisation du travail
Notons que ce thème de l’emploi des outils numériques et applis en santé mentale était l’objet d’une intervention de l’équipe de rédaction de Psyway au 1er Salon Francilien de la Santé Mentale au CNAM, le 23 octobre 2022.
En effet, notre intervention : « Les applis : une nouvelle modalité d’accompagnement et de prévention » se basait sur l’étude de plusieurs applis françaises et suisses : Jardin Mental, Mydefi, Stopblues, Blue Buddy, Stop Cannabis, Stop Alcool, (hors applis de confort et de bien-être). Nous disions que les principales avancées proposées à l’usager étaient les suivantes :
- d’abord, inciter à une position d’auto observation régulière à partir du choix d’un ou de plusieurs symptômes ressentis et plus ou moins connus du sujet (angoisse, dépression, troubles des conduites alimentaires, addiction, etc.)
- inciter à ne pas laisser un trouble mineur ou important, non formulé à soi-même. C’est-à-dire dans la négligence ou le déni dont on sait l’effet délétère inéluctable.
- proposer des recours dans les zones grises des soins psychiatriques : c’est-à-dire, là où l’offre de soins, par ses modalités, n’est pas congruente avec la réalité que vit le patient. En particulier, dans les secteurs pathologiques suivants : addictions, troubles des conduites alimentaires, dépression non reconnue, tentation du suicide, impossibilité de “parler” à quelqu’un ou à un soignant.
- apporter de l’aide à la prise régulière du traitement par une des fonctions de rappel, apporter des informations sur les services disponibles, informer sur les lieux d’échange possible sur le Net.
Quelques pays européens et les États-Unis investissent beaucoup dans les outils numériques et applis de santé mentale
L’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark, la Suède et les États-Unis portent un intérêt croissant à la e-santé.
Aux Etats-Unis, un assureur privé Kaiser Permanente évalue un panier de 6 applications de Santé mentale. 3 utilisant des méthodes de thérapie cognitivo-comportementale et 3 autres la méditation.
En Allemagne, l’assurance-maladie rembourse 10 applications dont Deprexis. C’est un programme de remédiation cognitive de la dépression dont le remboursement a été refusé en France.
Le service national de santé britannique (NHS) a lancé un programme d’évaluation de 21 applications en e-santé mentale. Il inclut des thérapies numériques. Certaines ont une place à l’intérieur d’une plate-forme en ligne Kooth. Cette plate-forme permet à l’utilisateur d’échanger avec un conseiller par vidéo ou message instantané. Elle vise à la prévention et à la détection des jeunes ayant eu un parcours de vie complexe. C’est le personnel scolaire médical et les services d’aide à l’enfance qui les y incite.
En Suède, les régions achètent les applications puis les logent dans un portail commun, gratuit et sécurisé. Ainsi, les patients accèdent gratuitement aux applications prescrites par le médecin. Les principaux outils concernent l’anxiété et la dépression.
Tandis qu’au Danemark, le remboursement d’un nombre restreint d’application est envisagé. De plus, elles semblent assez bien intégrées aux pratiques de prescription de certains professionnels de santé. Un portail MindApps.dk recense les applications sur la base de leurs qualités cliniques avec des recommandations sur leur utilisation en soins primaires.
En France, l’Assurance Maladie a suggéré pour 2023, la mise en place d’un cadre d’évaluation spécifique aux applications numériques.
L’absence d’un tel service explique qu’aucune des applis francophones que nous présentons dans Psyway ne soit citée dans l’étude. De plus, elle prévoit la création d’une catégorie « Thérapies digitales » au sein des produits de santé.
En conclusion, les auteurs du document considèrent que la valeur ajoutée d’une application se justifie moins d’un point de vue thérapeutique qu’organisationnel. En effet, leur efficacité intrinsèque n’est pas tout à fait établie, mais elles permettent de nouveaux modes de prise en charge intéressantes pour renforcer l’offre de soins.
Ainsi, les applis sont situées pour l’instant comme des outils complémentaires visant à soutenir les thérapies engagées en face-à-face. Cette utilisation semble pouvoir augmenter l’adhésion du patient à son traitement global.
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Les usages actuels du numérique en santé mentale
Psychiatre–Psychanalyste – Ancien responsable d’un service de soins psychiatriques