Psychiatrie : isolement et contention sous l’œil de la justice

L’isolement et la contention mises en œuvre  dans les services de psychiatrie aux patients en soins sous contrainte  se trouvent  désormais soumis à un contrôle plus strict du juge des libertés et de la détention (JLD).

L’isolement et la contention sont l’objet d’un avis du Conseil Constitutionnel. Celui-ci  vient de le rappeler en censurant de nouveau des alinéas du Code la Santé Publique modifiés par  l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale de l’année 2021.

Isolement, contention : la saisie systématique du juge des libertés

Auparavant le JLD était systématiquement informé par l’établissement de toute mesure de soins sous contrainte qui devait être prolongée. Il devait entendre la personne en soins. Il serait à présent  saisi lorsqu’une méthode coercitive est appliquée.  Le Conseil Constitutionnel a été saisi d ‘une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il a tranché dans ce sens. Le JLD doit être saisi dès que la mise en isolement ou sous contention dépasse la durée légale. C’est à dire 48 heures pour l’isolement et 12 heures pour la contention.

Une avancée pour le respect des droits des patients

Il s’agit certainement d’une avancée pour le droit des patients. Mais elle crée une contrainte nouvelle pour le médecin qui prescrit ce type de mesure. Il est prévu que celui-ci informe le patient de la poursuite de la mesure prise à son encontre. Il doit l’informer de ses droits de recours auprès du JLD. De même, il informera  l’entourage du patient ou son tuteur avec l’accord de celui-ci.

En conséquence, ces charges nouvelles viennent encore diminuer le temps clinique pour le médecin de garde. En effet, il doit assurer la rédaction des certificats pour tous les patients  de l’Établissement.

Les réactions des professionnels de la psychiatrie

Cette  décision du Conseil Constitutionnel  intervient dans un contexte tendu pour la psychiatrie après des années de réduction de moyens, de pénurie de personnels médicaux et soignants.   De plus,les locaux se présentent souvent comme vétustes ou inadaptés.

Les Directeurs d’hôpitaux, les médecins psychiatres ont tous souligné la difficulté que représentaient ces nouvelles dispositions pour les équipes. En raison de l’accroissement des charges administratives que nécessite la rédaction et la transmission des certificats tous les 6 ou  12 heures selon les cas. De plus, les Juges des Libertés se trouvent eux-même dans une situation difficile liée au  manque de moyens (effectifs des juges et greffiers notamment).

En conséquence, les psychiatres hospitaliers demandent voire exigent d être associés  à l’élaboration du dispositif envisagé pour répondre à la censure du Conseil Constitutionnel. Car cela n’a pas été le cas pour la rédaction du texte précédent. Ils demandent également, via leur syndicat, une loi globale pour la psychiatrie et non plus un saupoudrage législatif . Celui-ci traduirait un manque d’anticipation des pouvoir publics concernant les évolutions législatives applicables aux  soins sous contraintes.

Propositions des directeurs en matière de contention et d’isolement

Les directeurs d’établissement ont fait remonter leurs remarques via l’ADESM (Association des Directeurs d’Établissements de Santé Mentale). Ils rappellent les nombreuses difficultés rencontrées par les services. Ils avancent aussi des propositions pour appliquer au mieux les dispositions prévues.  Il va de soi  qu’une réduction des mesures d’isolement et de contention serait la réponse la plus adéquate.

Une enquête réalisée par l’ADESM indique que 80% des établissements qui ont répondu appliquent  au moins partiellement le dispositif prévu. Déjà, on constate que 20% des établissements répondent  intégralement aux modalités définies par la loi. Les établissements  ont souvent étudié avec le JLD la meilleure façon de procéder pour faire face aux contraintes de chacun.

Mais le retard des systèmes d’information des établissements et son dossier patient informatisé n’ont pu anticiper ce nouveau dispositif.  Les délais ont été  trop courts entre la décision du Conseil Constitutionnel, le vote de la loi et le contenu du décret d’application. Saisis par les établissements, les éditeurs sont à présent tenus de résoudre ce problème.

Un sentiment de discrédit et une loi “Isolement, contention” déconnectée des réalités

François Courtot, Directeur du Centre Hospitalier de Rouffac,  a synthétisé les remarques adressées par les directeurs. Il relaie  aussi   les réactions des médecins hospitaliers. Si le principe de réduction des mesures d’isolement et de contention n’est pas débattu, beaucoup ont soulevé le “décalage entre l’objectif poursuivi qui est bon et la méthode pour l’atteindre”, une “déconnexion [de la loi] par rapport à la réalité”, une règlementation “contreproductive”.

Les directeurs ont constaté une “démotivation des équipes face à une situation kafkaïenne”, le sentiment d’un “discrédit, d’une défiance”. Cette discipline  essaie déjà de “faire au mieux avec les moyens” disponibles, et les soignants ont exprimé la crainte d’une “altération du lien de confiance avec les familles”.

De nombreuses remarques ont aussi porté sur le manque de moyens, notamment médicaux. On signale également  des menaces de démissions voire des démissions effectives de médecins psychiatres.

Par ailleurs, le contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) regrette que les pouvoirs publics ne prennent pas en compte les différentes propositions contenues dans son rapport annuel sur la psychiatrie. En France, les dernières statistiques nationales disponibles (2018) indiquent que sur 424.000 personnes hospitalisées en psychiatrie, 82.000 personnes, soit 20%  en soins sous contrainte.

Hospitalisations sous contrainte et rechutes : prévenir les ré-hospitalisations

Signalons un manque : on ne dispose malheureusement pas  du nombre de personnes qui sont hospitalisées sous contrainte suite à une rechute. Il s’agirait des personnes déjà suivies par un médecin psychiatre et/ou une équipe de secteur. Ces éléments se révèleraient particulièrement utiles dans une une politique active de prévention des rechutes entrainant une hospitalisation. Cette prévention permettrait de soulager les services hospitaliers et de réduire  les placements en soins sous contrainte  associés à des méthodes d’isolement et de contention.

Quels moyens pour réguler ces situations de contention et d’isolement en psychiatrie ?

Un renforcement des  équipes de secteur et des services d’hospitalisation est nécessaire pour un suivi plus intensif des personnes présentant des risques.  On pourrait tenter d’associer ce suivi  à l’utilisation d’outils numériques simples. Par exemple,  des applications sur l’autoévaluation de sa situation par le patient. Mais aussi un objet connecté permettant de détecter les signaux faibles d’une possible rechute. La mise au point de tels moyens viendrait  probablement réduire le nombre de ces hospitalisations. Des applications existent pour les usagers et les proches. De même il existe des projets à expérimenter tels celui de l’association ARI2P qui a proposé un dispositif de prévention des rechutes via un système de télésurveillance animé par des professionnels.

Accorder enfin des moyens suffisants à la psychiatrie

Il s’agit pour  les pouvoirs publics d’envisager  une mise à niveau des moyens et notamment de  formation des équipes à la gestion de la violence. Il y aura aussi une nécessaire adaptation des locaux qui doivent  offrir des lieux d’apaisement afin de faciliter les soins et le respect du droit des patients hospitalisés.

Une nouvelle loi “isolement, contention” à élaborer

Le Ministre de la Santé a jusqu’au 31 décembre 2021 pour mettre le Code de la Santé Publique en conformité.

La position de Psyway.fr

Nous ne pouvons que soutenir les propositions des directeurs d’établissement et les demandes formulées par les psychiatres hospitaliers.  Il faut répondre aux obligations demandées par le Conseil Constitutionnel. L’association des acteurs de la psychiatrie et des représentants des usagers est un impératif.

 

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