Le fétichisme des plateformes diagnostiques, par Pierre Delion

Le fétichisme des plateformes diagnostiques ou les formes plates d’une psychiatrie pensée par les bureaucrates/technocrates et autres new managers

par Pierre Delion

La stratégie nationale autisme au sein des Troubles du Neuro Développement (TND)  2018-2022 prévoit « la mise en place d’un parcours coordonné de bilan et d’intervention précoce d’un an pour les enfants de 0 à 6 ans inclus afin d’accélérer l’accès à un diagnostic, favoriser des interventions précoces sans attendre, et ainsi répondre aux problèmes d’errance diagnostique et aussi réduire les surhandicaps conformément aux recommandations de bonnes pratiques de la HAS ».

Pour ce faire, la circulaire du 22 novembre 2018 relative à la mise en place des plateformes d’orientation et de coordination (PCO) dans le cadre du parcours de bilan et d’intervention précoce pour les enfants avec des TND prévoit :

  • la construction d’un parcours coordonné sécurisé et fluide, respectueux de la situation et des souhaits des familles, dès le repérage d’un développement inhabituel
  • la rémunération des professionnels libéraux sollicités selon la situation de chaque enfant dans l’objectif de contribuer à son diagnostic fonctionnel et nosographique.

La règlementation sur les PCO a ainsi prévu l’intervention possible d’ergothérapeutes, et psychomotriciens et/ou de psychologues.

Ces plateformes ont pour missions d’organiser :

  • l’appui aux professionnels dits de ligne 1 (médecins traitants, pédiatres, médecin scolaire et de PMI)
  • l’accompagnement des interventions pluridisciplinaires auprès des enfants et des familles dans le parcours diagnostique au travers notamment d’un conventionnement avec les structures dites de ligne 2 du territoire (CAMSP, CMP, CMPP)
  • la coordination des professionnels de santé libéraux ayant contractualisé avec la PCO et l’accompagnement de la famille dans le parcours mobilisant les professionnels.

Toutes ces belles phrases visent à organiser un système qui existait déjà, la pédopsychiatrie de secteur, mais que les responsables successifs, depuis une vingtaine d’année, ont contribué à disqualifier puis à réduire à peau de chagrin pour des raisons purement idéologiques.

Mais plus grave encore, la prétention à organiser un « parcours de prévention précoce et de soins » sans tenir compte de l’avis des professionnels expérimentés et aguerris, se double d’une prétention scientifique qui aura rapidement, n’en doutons pas, des effets délétères.

Isoler dans le dispositif général une structure diagnostique confiée aux PCO montre que les concepteurs ne savent pas de quoi ils parlent. En effet, en pédopsychiatrie (ce mot n’est pas cité dans cette nouvelle organisation), la pratique du diagnostic nécessite non seulement une expérience que l’on acquiert à l’instar de toute autre discipline en accueillant des enfants et en se familiarisant avec leurs signes pathologiques, mais également l’obligation éthique de suivre ces enfants dans leurs prises en charge, en lien avec les parents, et cela pendant de nombreuses années.

C’est cette expérience du suivi qui permet de conserver toute son acuité aux critères diagnostiques, dans la mesure où chaque enfant présentant des signes identiques à d’autres voit son évolution varier en fonction de ses compétences propres, de ses singularités, des ressources de son environnement familial et social et des prises en charge diverses qui lui sont proposées. Ces constatations viennent nourrir l’expérience du praticien qui propose le diagnostic et l’affine tout au long de sa prise en charge.

La pédopsychiatrie de secteur, en basant son existence et ses pratiques évolutives sur le concept de continuité des soins, était le seul dispositif, de portée nationale, égalitaire et de service public, capable d’assurer ces impératifs dans la durée, en adaptant la prise en charge aux évolutions de l’enfant. Mais elle permettait en outre au pédopsychiatre chargé du diagnostic de relativiser les signes présentés par les bébés à risque autistique et les jeunes enfants présentant des signes évocateurs de TSA, à l’aune de son expérience avec le suivi des enfants plus âgés.

Le dispositif du secteur également basé sur la notion de « rapports complémentaires », permettait de travailler sous l’égide des parents, avec les partenaires éducatifs et pédagogues de façon naturelle, dans le cadre du service public, et en lien avec des professionnels libéraux lorsque le besoin s’en faisait sentir. Le livre[1] récent de Maria Squillante, Nicole Garet-Gloannec et Fabienne Roos Weil, démontre que les équipes des hôpitaux de jour des secteurs de pédopsychiatrie ont parfaitement su s’adapter aux nouvelles connaissances en matière de TSA et les intégrer dans leurs programmes de prises en charge avec un bénéfice notable pour les enfants. La philosophie de travail de ces équipes de secteur basée sur l’aphorisme « éducatif toujours, pédagogique si possible et thérapeutique si nécessaire » que j’ai proposé depuis longtemps[2] déjà permet de pratiquer avec les enfants concernés tout ce qui est nécessaire à une évolution favorable.

Il est affligeant de constater que les décideurs politiques disposaient du service public de santé leur permettant de déployer de façon cohérente, rapide et concertée la politique « novatrice » qu’ils appellent de leurs vœux, sans réaliser qu’elle était déjà au travail depuis longtemps pour certaines équipes. Il eût suffi qu’ils donnent à ces équipes les moyens de répondre aux très nombreuses demandes dont elles étaient l’objet, et il n’aurait pas été nécessaire de mettre ces moyens, précieux parce que trop rares, dans l’organisation des PCO, essentiellement chargées du diagnostic, dans la rémunération (faible) des praticiens libéraux non (encore) expérimentés, qui vont se retrouver confrontés dans peu de temps aux énigmes du suivi d’enfants présentant des difficultés en rapport avec leurs psychopathologies archaïques qu’une inclusion « par décret » ne suffira pas à intégrer notre société dans des conditions favorables.

Mais la haine du psy véhiculée sans honte par quelques ministres, l’alliance démagogique avec les associations de parents en faveur du découplement des Troubles du Spectre de l’Autisme de la pédopsychiatrie, l’obsession des économies à faire sur les disciplines psychiatriques, et les inepties émanant des new managers artificiellement gonflés au consulting ont fini par avoir raison de nos modestes forces de service public.

Les praticiens et les soignants de la pédopsychiatrie (et de toute la psychiatrie) quittent en masse le service public pour rejoindre le privé ou changer de métier, tant ils sont éreintés par toutes ces nouvelles mesures et ecoeurés de voir leurs projets d’une pédopsychiatrie à visage humain devenir une organisation purement opératoire. Des services de pédopsychiatrie sont exsangues, les listes d’attente s’allongent dangereusement, le cœur n’y est plus.

Ne nous y trompons pas, l’avenir de ces nouvelles organisations ne pourra pas tenir la dimension humaine, tant les raisons qui en ont fomenté l’advenue sont étrangères à tous les progrès accomplis dans la compréhension des mécanismes qui président à ces pathologies complexes, et qui nécessitent de mettre ensemble toutes les forces qui concourent à en élucider les impasses actuelles : génétique, neurosciences, psychopathologie transférentielle, pédagogie, éducation, anthropologie, sociologie, philosophie et politique.

L’idéologie actuelle qui vise à imposer les deux premières composantes au détriment des autres, en pourchassant ces dernières sur le mode inquisitorial, est totalement contre-productive, car elle crée parmi les professionnels une incompréhension doublée d’une colère qui contribue à la déconstruction d’une politique commune en faveur des enfants en question et de leurs parents.

Les plateformes ne font qu’aplatir, sous le couvert d’une protocolisation pseudoscientifique revendiquée, les reliefs que toute prise en compte de la singularité opère inévitablement dans le paysage de l’enfance en difficulté.

[1] Manuel des pratiques intégratives à l’usage des professionnels intervenant auprès des enfants présentant des troubles du spectre autistique. Toulouse, Erès, 2022.

[2] Delion, P., Colloque de l’ANCRA, Montpellier, 2009.

 

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