Crise psychotique et relation aux autres, un témoignage

vivre une crise psychotique

Les psychiatres ont depuis longtemps décrit des modifications relationnelles dans les troubles psychotiques ou schizophréniques. On décrit par exemple le repli rendant le contact difficile, les possibilités d’agressivité, les virages de l’amour à la haine. On a insisté aussi sur la peur qui s’installe dans les relations, sur la dépendance relationnelle.

 

Nous pouvons mieux comprendre « de l’intérieur » la complexité des relations dans la crise psychotique grâce à certains témoignages. Ainsi, de façon nuancée, un homme, qui se nomme Dandelion sur son blog, nous offre de nombreux aperçus de ce qui menace, tend les relations avec les autres dans la crise psychotique. En rédigeant son « plan de crise », il suggère en quoi ces dernières peuvent également aider à apaiser la crise, et les efforts qu’il fait pour tenter pour les préserver. Tout ceci est très important pour la vie quotidienne des malades avec leur entourage. Ceci est très important également pour les soins à une époque où l’on attend que l’amélioration vienne des médicaments de façon parfois trop exclusive. Ce faisant, on oublie l’importance essentielle de la dynamique relationnelle dans le traitement de ces troubles.

La complexité et la violence d’une crise psychotique sont immenses

Ainsi, Dandelion s’attache-t-il d’abord à décrire la crise psychotique, qui inflige une souffrance psychique globale. Et, pour mieux se faire comprendre, il expose en 11 points ses symptômes. Il faut souligner que ces 11 points ne sont pas des recettes comportementales. En effet, ils invitent surtout à comprendre « de l’intérieur » ce qu’est cette crise, sachant que d’autres “concernés-es” se sont reconnus dans ces élaborations. Ainsi, plus largement, cet écrit très personnel nous permet d’entrevoir les enjeux des symptômes et des relations au cours d’une crise psychotique.

Au cœur de la souffrance psychotique, le sentiment que la réalité extérieure « explose »

Dès lors, comment rester conserver les relations avec son entourage, puisque les autres constituent le cœur de cette réalité extérieure en fusion ? Le plan de crise détaille cette difficulté d’entrer en relation avec les autres, mais aussi ce qu’on peut attendre d’eux pour se sentir aidé. “Quoi faire, quoi ne pas faire” pour que les crises se calment. Toutes choses que l’auteur a vécues et analysées au fil des années.

Il faudra au minimum que les amis, les professionnels évitent des gestes, des paroles qui font mal, qui font peur.

Les repères corporels et le contact avec la réalité sont détruits

  • « La réalité toute entière explose ». On est « sans armure, sans structure, extrêmement vulnérable, en proie à des douleurs et des angoisses incommensurables ».
  • Les images et les sensations du corps sont bouleversées. Ce récit explique : « nos corps n’ont plus de sens ni de limite, nous ne comprenons plus l’espace dans lequel nous sommes, (point 1). Aussi les personnes de la réalité peuvent être confondues avec celles des délires
  • En effet, le psychisme se perd dans un réel nouveau. C’est un chaos de cauchemars incompréhensibles, de délires, d’images atroces du corps, de sensations douloureuses de celui-ci (la chair pénétrée d’éclats de verre (point 2), de flashbacks de traumatismes.
  • La capacité d’expression, les repères identitaires sont très altérées (point 2, 3, 5). « On ne sait plus qui ni ce qu’on est »… «On ne comprend plus rien à ce qui se passe ». « Un je un elle un tu un nous se croisent dans ma bouche sans qu’on sache qui est qui ».

La crise psychotique comporte un intense repli sur soi

  • C’est un repli défensif, qui est au service d’une lutte du malade pour «survivre » (point 4). On pense à un grand brûlé ou à polytraumatisé qui ne bouge plus, perd connaissance cependant que son organisme cherche à sauvegarder les organes vitaux. La crise est « extrêmement énergivore à vivre et à combattre » (point 7).
  • Cet état de repli extrême ne laisse presque aucune disponibilité pour investir ce qui vient du monde extérieur. Ainsi, le contact avec l’entourage, les soignants, la vie quotidienne peuvent très rapidement être ressentis comme autant d’agressions supplémentaires, faire « effroyablement mal » ou faire peur (point 1). Habituellement, dit Dandelion, la réalité familière “protège”; mais dans la crise, elle est maintenant vécue comme une entité menaçante en toutes circonstances. Insupportables, ingérables sont les questions trop compliquées (point 4) ; les paroles maladroites (point 5) ; les choix à faire, impossibles : « rien, je préfère rien » (point 9)
  • Aussi cet équilibre défensif extrêmement précaire accueille avec méfiance toute sollicitation, surtout si elle est inappropriée, voire réagit avec hostilité ou avec agressivité. Ainsi la perte de réalité et le repli contribuent à rendre les autres dangereux, et l’agressivité à leur égard, ce qui ensuite accroît la culpabilité et la crainte de les perdre

Malgré “l’explosion de la réalité”, l’importance des autres apparaît ainsi cruciale en chaque facette de la crise psychotique  

Dans la crise psychotique la relation aux autres vacille, et pourtant

  • Les autres assurent activement la survie physique alors que le malade peut n’avoir « plus d’envie ni d’avis sur rien » (point 8, 9)
  • Leur présence limite la perte de contact avec la réalité et la plongée dans la folie (points 2, 6, 7)
  • Ils peuvent assurer un environnement calme (point 3)
  • L’entourage est là pour aider à gérer l’après crise, « faciliter la vie » à un patient convalescent
  • Pour proposer si besoin un hébergement et des conditions de vie bien adaptées (point 10)
  • Leur témoignage et leur présence permettent aussi de débriefer, de ne pas laisser la peur prendre le dessus. Leur témoignage permet d’éviter les non-dits et les « blackout » dans la mémoire de la crise. La mémoire des autres permet d’essayer de comprendre après-coup ce qui s’est passé lors de la crise.
  • Les autres sont là pour parler bien, ce que ce texte souligne à chaque ligne

Ainsi, la crise psychotique confronte le malade et son entourage à des exigences contradictoires

  • Ainsi par exemple on doit respecter suffisamment le repli défensif du malade, car il fait partie de son équilibre défensif. Mais malgré tout, les autres doivent assurer, encourager, accompagner  un contact avec la réalité, notamment dans la vie quotidienne
  • Quant au malade, il investit le repli et ses symptômes, face à une réalité qui lui est douloureuse. Mais cela n’est viable que si l’entourage l’accepte suffisamment et veille à la survie physique et relationnelle. Ainsi par exemple, le malade qui veut absolument calmer sa souffrance psychique par ses propres moyens, se frappe, se cogne. Il veut ainsi ne pas se sentir totalement dévasté et impuissant. Mais jusqu’où l’entourage peut-il tolérer, humainement, des automutilations? Comment peut-il agir sans priver le malade de sa capacité d’auto-soin? Quand ce comportement apparait-il plus dangereux que nécessaire ? (point 8)

Ce sont ces exigences contradictoires qui expliquent selon nous le besoin d’établir un plan de crise. Celui-ci demande à l’entourage de prendre des précautions dans ses interventions, si nécessaires qu’elles apparaissent

L’enjeu de ces demandes, voire de ces directives adressées à l’entourage est majeur. Par son attitude ou par ses paroles, celui-ci ne doit pas augmenter la violence interne que le malade ne contient que très imparfaitement. Ses réactions hostiles l’exposeraient au risque d’être abandonné ou de perdre l’amitié de cet environnement avec lequel un lien ne se maintient que difficilement (point 9 et 11).

En définitive, ce témoignage souligne le caractère angoissant et cependant fondamental des relations, en particulier des relations thérapeutiques.

  • Au minimum, elles ne doivent pas « perturber les perceptions encore plus qu’elles ne le sont déjà »
  • Elles incarnent le pire lorsqu’elles aggravent la peur de soi et du monde. Ainsi, des attitudes, ou des paroles maladroites augmentent une violence interne que le malade ne peut pas maîtriser. L’entourage, les soignants ne doivent jamais oublier cela.
  • Au mieux les relations aident le malade à sauvegarder et restaurer une intégrité psychique et relationnelle gravement altérées. Ainsi, une présence ou une parole calme et chaleureuse sont « comme un phare dans la nuit » (point 6).

Le temps long pour construire un plan de crise

Soulignons enfin que la crise psychotique n’est pas un moment simple et rapidement oublié. Des années (« toutes ces années ») auront été nécessaires pour structurer ce “plan”. Cela était « très dur à faire ». Son entourage percevait autrefois ses crises « au carré » comme « pas terribles » ou « extrêmement dangereuses » ; de plus, un silence honteux et douloureux leur faisait suite, facteur de nouvelles explosions. Dandelion envisage à présent (2009) qu’un échange suffisamment bon et continu soit possible avec son entourage amical et soignant. Et il peut en dessiner les modalités.

Mais il ne s’agit pas pour lui d’une fin. Il “rêve toujours “d’un endroit sûr où on serait correctement traité·es et accompagné·es”. Il attend toujours une plus juste attitude des soignants lors de ses crises, de meilleurs lieux. Cela est-il possible? C’est en tout cas en cela que consiste le plan de crise. Nous examinerons comment accompagner une crise psychotique dans une seconde partie.

Le blog de Dandelion

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