Covid-19 : réflexions d’une psychologue sur sa pratique analytique

Brigitte Kammerer, psychologue et psychanalyste, nous dit comment elle a adapté sa pratique professionnelle au confinement dû à la pandémie du Covid-19.

Depuis la mi-mars, à la consigne « Restez confiné, restez chez vous », liée à la menace de la pandémie du Covid 19, chacun répond comme il peut, selon la qualité de son environnement, matériel ou humain, son fonctionnement psychique, ses modes défensifs ou sa psychopathologie.

Dans ces conditions, poursuivre un travail de « psy », à distance suppose autant de modalités d’écoute que de cadres précédemment établis, ou non, dans la relation. L’expérience est évidemment toute nouvelle pour moi, comme pour beaucoup d’autres.

D’emblée, maintenir la relation, assurer une continuité psychique, poursuivre un travail psychothérapique ou psychanalytique entamé ont été mes priorités.

J’ai privilégié le téléphone car il ne m’a pas semblé que l’image était indispensable pour établir ou maintenir un cadre de travail possible. Elle risquait au contraire de troubler l’associativité, de distraire de l’essentiel.

Pourtant c’est une question qui s’est posée dans ma pratique professionnelle : valait-il mieux maintenir la prévalence de la vue quand une psychothérapie avait été installée en face à face?

A ce sujet, une collègue m’a fait remarquer que Skype n’impliquait pas une relation d’œil à oeil mais de caméra à œil… Le téléphone convenait-il mieux quand un dispositif divan/fauteuil avait été préalablement établi ? Quand l’associativité du patient le permettait ?

Poursuivre un travail analytique déjà engagé

Poursuivre un travail psychothérapique ou psychanalytique dans ce cadre aménagé, à distance, suppose que chacun puisse préserver un espace intime, de préférence toujours le même, de séance en séance. Ce n’est pas toujours le cas et certains patients ont préféré interrompre provisoirement leur thérapie.

Pour d’autres, une associativité s’est mise en place qui m’a semblé fonctionner différemment, parfois de façon presque plus souple qu’en présence. Je parle évidemment là de relations déjà bien établies, où la question du transfert est bien assurée. Une question se pose cependant : qu’en est-il du transfert négatif?

Enfin s’agit-il de soutenir, de prendre en compte une réalité externe qui s’impose à nous tous avec le danger du Covid et l’expérience de confinement ? Ou s’agit-il de poursuivre un travail sur une réalité interne qui ne prend pas toujours en compte cette réalité externe, loin s’en faut ? Marilia Aisenstein dans une interview donnée à l’IPA évoque la communauté de déni qui, dans ces conditions très particulières, peut être nécessaire au patient comme à l’analyste, pour la poursuite d’un travail analytique.

Familles, groupes et institution

Quand le dispositif initial est familial ou groupal, voire institutionnel, les choses peuvent paraître plus complexes.

J’ai pu poursuivre des prises en charge de couples ou de familles via Skype. J’ai proposé aux patients suivis dans le cadre d’un psychodrame individuel ou en groupe de les appeler chaque semaine. Plusieurs cas de figure se sont présentés, amenant différentes sortes de réactions : de la mise à distance polie ou plus nettement persécutoire à la demande insistante d’un suivi régulier à heure fixe.

Comment faire en sorte que le groupe continue à exister dans la tête de chacun, patient ou analyste? Comment n’être pas trop séducteur (trice) ou intrusif (ve) ? C’est une question qui se pose sans doute dans tous les cas : comment maintenir un tiers dans une relation qui pourrait avoir tendance à l’exclure? Qu’il soit institutionnel, groupal, ou encore lié à la question du paiement des séances à distance, etc.  

Dans l’institution, des dispositifs groupaux sont possibles et se mettent en place. Des médiations s’inventent dans une créativité qui utilise tous les médias possibles (écriture, théâtre, clown…) mais souvent, et peut-être toujours, dans la continuité de groupe existant précédemment. La relation, quelle qu’en soit la modalité transférentielle, a besoin d’un support concret, corporel, et du souvenir incorporé d’une rencontre préalable.

Enfin, maintenir et privilégier des moments de rencontre et d’élaboration commune entre collègues dans notre pratique professionnelle parait à cet égard tout à fait essentiel dans ces moments difficiles pour tout un chacun.

Les plateformes d’écoute

Je ne parle pas ici de toutes les « plateformes psy » qui ont été mises en place pour apporter un soutien aux soignants – ou non soignants – en difficulté temporaire dans leur quotidien ou leur vécu de la crise. Je me suis inscrite sur deux d’entre elles sans avoir eu à ce jour aucun appel et il semble bien, à lire la presse spécialisée à ce sujet, qu’elles n’aient pas rencontré le succès escompté. Il faudra bien sûr s’interroger à ce sujet.  En tout état de cause, ces soutiens ponctuels me semblent relever d’autres modalités d’écoute que celle que j’ai pu expérimenter.

Ces nouvelles modalités de travail et d’écoute modifieront elles les pratiques futures ? On peut l’imaginer, sans oublier que le transfert, moteur de la cure et de tout dispositif analytique, se saisit bien sûr de tout ce qu’il peut, se glisse dans tous les interstices et aménagements du cadre mis en place.

A nous d’en faire quelque chose !

 

Brigitte KAMMERER- Psychologue, psychanalyste, psychodramatiste, thérapeute familiale

 

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